sábado, 3 de noviembre de 2007

Nouvelle "Vingt ans après"

Vingt ans après

Il était dix heures trente et le Comptoir n’avait toujours pas ouvert ses portes. Mais où pouvait donc se touver la libraire? C’était la première fois qu’elle était en retard et moi j’étais bien pressée ce matin là.

Je devais être prête à midi, le déjeuner devait être prêt à midi. J’attendais ce jour là depuis un mois. En réalité, je l’attendais il y a vingt ans. Vingt ans et trois mois, en fait. Ça faisait vingt ans et trois mois qu’il était parti en me laissant enceinte de Pierre, mon fils unique. Il avait préferé sa famille, sa femme et ses trois enfants et s’était arrangé pour démenager dans une autre ville. A cette époque, Daniel avait 46 ans, moi, 28. Et nous ne nous étions plus jamais rencontrés. Il ne savait même pas que Pierre était né.

Dix heures quarante et la libraire n’était pas encore arrivée. Je voulais acheter ce livre de cuisine où j’avais vu la recette du soufflé d’artichauts. Daniel adorait les artichauts.

Ça faisait juste un mois. C’était un vendredi soir, vers huit heures, j’étais tranquillement chez moi quand le téléphone a sonné.

“- Allô, Aline, c’est moi, Daniel…”
Je n’arrivais pas à répondre.
“- Aline, tu te rappelles de moi? C’est Daniel…”

Bien sur que je me rappelais de lui. Je ne l’avais jamais oublié. Il me suffisait de regarder Pierre tous les jours.

Il était veuf maintenant, il vivait seul et avait pensé à moi. Puis, il avait cherché mon numéro de téléphone sur internet et voilà, il était quelque part au bout du fil. J’acceptais de déjeuner avec lui, chez moi, dans un mois…aujourd’hui.

Onze heures et la libraire n’arrivait toujours pas. Je pouvais encore attendre un peu. Les artichauts, je les avait fait cuire ce matin et leur avait enlevé la chair, j’avais les oeufs…enfin tout. Mais je ne savais pas faire le soufflé. C’est pour ça que j’avais besoin du livre.

Moi aussi j’étais prête. J’avais suivi une diète pendant tout le dernier mois. J’avais teint deux fois mes cheveux parce que la première fois ils étaient trop foncés et ça me faisait trop vieille. Mes ongles étaient impeccables, tout comme mon tailleur couleur ivoire, parfait pour ce matin de printemps.

Et lui, ça lui allait comment ses soixante-six ans? Qu’était devenue sa barbe rousse, celle qu’il avait promis de ne jamais couper? Et ses beaux yeux, seraient-ils plus fatigués? Enfin, son rire sonore serait peut-être le même. On verrait tout à l’heure. Il avait plaisanté – il plaisantait tout le temps – en disant qu’il était tout vieux maintenant et qu’il mettrait une fleur à la boutonière pour que je le reconnaisse.

Onze heures vingt et pas encore de libraire. Je decidais d’attendre jusqu’à onze heures et demi et pas une minute de plus. Bon, finalement, je pouvais quand même acheter une tarte aux asperges toute prête à côté de chez moi, mais je préférais lui préparer moi même le soufflé.
Je commençais à être inquiète. Je tenais à lui dire aujourd’hui même que Pierre était son fils. Comment allait-il réagir? Je m’étais préparée pour recevoir toutes les réponses et même pour ne plus jamais le voir. Il n’avait jamais été très courageux.

Et Pierre? Que dirait – il si jamais un jour je devais lui dire que Daniel était son père? Au moins je lui avais toujours dit moi-même la vérité: que son père n’avait jamais su que j’étais enceinte de lui, qu’il était né, enfin, qu’il existait.

Je commençais à me sentir vraiment inquiète… et cette libraire qui ne se décidait pas à venir. Je n’attendrai plus que cinq minutes.

Tout à coup, c’était mon portable qui sonnait.
“- Allô, Daniel, c’est toi?
- …
- Oui, je comprends…oui, ça va.
- …
- Oui, tu me téléphoneras dès que tu pourras finalement voyager.
- …
- Oh, non. Tu ne m’as pas dérangé.”

Il n’était pas vraiment plus courageux qu’il y a vingt ans.

“- Bonjour, ça fait longtemps que tu m’attends?”

C’était enfin la libraire qui arrivait. Mais je n’avait plus besoin du livre de cuisine. Je n’allais pas ruiner ma diète avec un soufflé d’artichauts. Avec la moitié, je ferais une salade et avec l’autre moitié, une omelette pour le dîner de Pierre.

J’entrais dans la librairie, j’avais le coeur gros, je sentais les larmes au bord des yeux. J’étais profondément déçue. C’était ma faute de m’avoir fait des illusions, mais je ne changerai jamais. Je savais même que je l’attendrai pendant les prochains vingt ans. Peut-être me téléphonera –t-il quand il aura quatre-vingt-six et moi soixante huit…

Je regardais autour de moi. Les livres, en plus de mon fils et de mon vieil amour étaient ma vie. Mais non. J’étais trop bouleversée pour lire un livre cet après-midi. Je décidais quand même d’acheter deux magazines pour les déguster chez moi avec une bonne tasse de thé. Combien de fois n’avais-je oublié mes malheurs en me plongeant dans une lecture.

Quand la libraire me demanda si je cherchais un livre en particulier, je lui dis que non. De toutes façons, elle ne m’aurait pas cru.

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