miércoles, 7 de noviembre de 2007

Nouvelle "Sombres desseins"

Sombres desseins

Il était 10 heures 30 et Le Comptoir n’avait toujours pas ouvert ses portes…Ce n’était pas du tout dans les habitudes du magasin, dont j’étais un habitué. J’attendis calmement 10 minutes, un quart d’heure. Les rues étaient désertes, sous le soleil de plomb. Un étrange sentiment m’envahit…

Les événements de la veille au soir m’avaient profondément perturbé. La violence des propos avait atteint des sommets. Je ne comprenais toujours pas comment la situation avait pu empirer de la sorte, en l’espace d’une poignée d’heures. Luttant de tout mon être avec quelques autres pour arracher un compromis, j’étais ressorti de la salle du conseil vidé et désespéré. J’étais certain que personne n’avait pu écouter nos conversations, auxquelles ne participaient que des officiels du régime, tenus par le secret. Mais si l’information avait filtré ? Si la rumeur avait commencé à courir, à enfler, à se propager de palier en palier, à se faufiler dans les rues écrasées de chaleur ? Si tout le monde savait, du vendeur de journaux a ma chère libraire ?

Après tout, ce serait un joli retournement de sort, pensai-je soudain. Le régime avait pris toutes les précautions pour que cette sombre affaire demeure confidentielle, pour que la population soit maintenue dans une complète ignorance de la tourmente qui emportait le pays. Par prudence, affirmeraient-ils en bloc si un jour quelqu’un venait a découvrir le fin mot de l’histoire. Par inconsistance et couardise, selon moi. J’avais tenté en vain de les convaincre de prévenir la population, la principale concernée...

Je me pris à rêver que le peuple ait pu, par un extraordinaire concours de circonstances, être au courant de ce qu’il se tramait. Au nez et à la barbe du gouvernement, pourtant redouté pour sa mainmise sur les canaux de l’information. Qu’un des comploteurs de la veille, bien intentionné, ait activé d’inconnus et improbables réseaux. Que les habitants aient pris leurs dispositions, que les commerces se soient accordés pour rester fermés. Une grève massive en quelque sorte, un silencieux mouvement de protestation devant la menace imminente qui s’avançait. L’Etat en prendrait un sacré coup.

Je regardai autour de moi. Un papier d’emballage décrivait des courbes esthétiques, animé par la brise étouffante dont il ne semblait se soucier. Deux chiens errants, pelés comme des rats, assis sur le trottoir, attendaient calmement que le passage piéton passe au vert pour s’avancer. Quelle chance, cette indifférence, quand le monde vacille. Je regrettais soudain les moments d’ennui des longs après-midi d’été, la torpeur de l’esprit et des sens. Tout sauf cette panique sourde qui me faisait délirer !

Reprenant mes esprits, je me dis que décidément, les nuits blanches qui avaient précédé la terrible décision de la veille m’avaient sérieusement affecté. Que cette histoire de complot citadin ne tenait pas la route, et que je ferais mieux de me rendre au travail pour attendre les ordres. Je me mis en route, tournai au coin. Les rues, d’ordinaire animées le samedi matin, demeuraient désespérément vides, ce qui ajoutait à mon trouble. J’aperçu enfin quelques passants, qui semblaient de bonne humeur, et leur vue m’attrista au plus au point. Je ressentis un pincement au cœur. J’en conclu que je n’avais fait que divaguer, et que la catastrophe était en marche. Je savais depuis la veille, sans vouloir l’admettre, qu’il ne me restait qu’une seule option, celle que j’avais rejetée depuis des semaines, celle qui me hantait dans mes nuits d’insomnies. L’apparition des promeneurs m’avait définitivement ôté tout espoir. Une question me taraudait, une question qui, me semblait-il, résumait le dilemme de mon existence : Aurais-je l’audace de me lancer ainsi dans l’inconnu ? Moi qui aimais tant ressasser chaque décision, et rechignais par nature à m’engager sans être certain que la situation jouerait en ma faveur, que les dés tomberaient du bon côté… Avec un peu de chance, et si tout s’enchaînait comme je l’avais planifié, je pourrais en abattant mes dernières cartes au moins retarder l’échéance. Dussé-je y perdre toute crédibilité. Dussé-je y laisser ma peau.

En me plongeant à corps perdu dans le labyrinthe du métro, je me sentis profondément seul. C’était bien le comble, pour quelqu’un qui avait participé à des décisions concernant l’avenir de millions de ses concitoyens. Mais ne pas pouvoir partager mon désarroi affectait la clarté de mes idées. Je me surprenais à douter de l´enchainement de mes pensées, de mes sensations. A prier pour que tout cela n’ait été qu’un mauvais rêve. J’esquissai un sourire plein d’ironie. Il est tellement plus facile de se défausser face aux responsabilités, que d’affronter la tourmente. Je ne pouvais partager mon angoisse avec aucun de mes amis, ni même avec Daniela. De tout façon, elle ne m’aurait pas cru.

martes, 6 de noviembre de 2007

Nouvelle "Demain, j'enlève le bas"

Demain, j’enlève le bas

Il était 10 h 30 et le Comptoir n’avait toujours pas ouvert ses portes. Il faisait les cent pas devant la devanture, voulant être certain d’être bien le premier client. Pour la libraire, tant pis, après tout, elle en avait vu d’autres. Mais la seule idée d’être surpris à acheter « Les 10 trucs infaillibles des professionnelles du sexe » lui donnait des sueurs froides. Il imaginait un collègue de bureau ou, plus probable, une mère de l’Alliance. Il faudrait saluer d’un air dégagé, attraper très vite un Folio pour donner le change, inventer un pari stupide avec un copain, masquer les mains moites… Au lieu de tout simplement expliquer qu’un copain en France avait recommandé ce bouquin : « Tu verras, Chantal me fait des trucs déments, depuis qu’elle l’a découvert dans ELLE », avait insisté Jean-Claude.
Leur anniversaire de mariage approchait : Neuf ans, cinq déménagements, trois pays, trois enfants et l’amour …de moins en moins souvent... Il risquait le tout pour le tout avec ce cadeau : la franche rigolade – heureusement, il leur restait ça - ou la gueule, voir les larmes d’humiliation. Avec Sandrine, il fallait s’attendre à tout, y compris à un assaut sexuel !
Comme cet après-midi torride sur le sable blanc de l’Islas des Damas, pendant que les enfants regardaient les dauphins...

- « Tiens, pas mal cette nuisette noire avec son string, là » : son impatience l’avait mené deux boutiques plus loin.

... et ce bar un peu louche près de la Calle Girardi, cet Argentin qui avait fini par leur proposer de rentrer avec eux. L’idée, après coup, leur avait fait un sacré effet. Ils étaient même retournés dans le bar pour le revoir.

- « Et ce petit haut rouge ajouré, ça lui irait bien ».

Machinalement, il était entré dans la petite boutique de lingerie, aussi absorbé par ces souvenirs qu’un type pendu à son portable.
Il n’a pas tout de suite remarqué la petite brune, longs cheveux noirs, jolis traits indiens, qui s’avançait en souriant. Ce n’est qu’un peu plus tard, alors que ses petites mains potelées farfouillaient dans l’océan de soie à la recherche de la taille ad-hoc, qu’il l’a envisagé « sexuellement ». L’odeur d’abord, un parfum très fleuri qui s’échappait de sa peau chaude, de ses bras ronds, de son décolleté ingénu, dorée, comme si elle sortait du four. Dès lors, il ne sut plus très bien ce qu’il disait : « la taille ? Oui, ça irait… la couleur ? Pourquoi pas ? Et ce modèle-là ? Et des bas, vous en portez, vous, des bas ? Vous avez essayé les porte-jarretelles, là qui monte autour de cuisses, comme ça ? Comment dit-on déjà en espagnol ? Oui, c’est beau ça ! »
À quel moment le professionnalisme de la vendeuse, à l’empressement toujours un peu équivoque dans ce genre de boutique, a-t-il cédé la place à l’émoi d’une jeune femme qui s’immisce dans l’intimité d’un couple ?
Quand la libraire franchit le seuil de « Coquetteries », elle n’eut le temps que de : « Salut, t’as toujours mon doub… » avant de remarquer l’étrange prise au vent du rideau de la cabine d’essayage. Un pantalon en tire-bouchon sur des mocassins, piétiné par les sandales à méga talons de Claudia, achevèrent de la réveiller.
Un peu plus tard, cravate en vrac et rouge aux joues, le premier client de la matinée franchissait le seuil du Comptoir un gros paquet à ruban rose sous le bras :
« Olivier Balez, ça vous dit quelque chose ? Vous avez son dernier livre ? C’est mon gamin qui va être ravi. ! »
Allez expliquer à quelqu’un, une femme surtout, qu’une aventure de 20 mn puisse valoir tous les trucs, les remontants, les bouquins techniques du monde. Comment lui faire avaler, surtout si c’est la vôtre, que vous vous sentez plus vivant et amoureux que jamais d’elle ?
Il faillit tout raconter à la libraire, puis se reprit, en disciplinant sa cravate : « Sandrine ? oui, elle va très bien. Demain ça fera 9 ans que l’on est marié. Le paquet ? Oui, c’est pour elle. Et puis il me faut quelque chose pour les deux autres loupiots ».
À quoi bon tout lui confier ; lui dire : « Je viens de vivre un truc qui me fait décoller, me rend fou amoureux de ma femme et encore plus précieux mes gosses ? De toute façon elle ne m’aurait jamais cru »

lunes, 5 de noviembre de 2007

Nouvelle "Voyage(s)"

Il était 10 heures 30 et Le Comptoir n’avait toujours pas ouvert ses portes. Cela faisait une semaine que j’avais demandé une journée de libre au bureau pour pouvoir venir ici. Une semaine d’impatience, de planification, d’espoir. J’allais enfin pouvoir entrer dans ce monde magique, aux milles histoires, que mon ami m’avait décrit.
Après seulement quelques minutes de retard, les portes se sont enfin ouvertes. Le cœur serré, j’ai traversé la frontière, j’ai pris quelques minutes pour observer, ressentir l’atmosphère ambiant, et je me suis précipité dans les recoins les moins accessibles ; je savais que c’est là que je trouverais l’objet de ma quête. Je savais que seulement après une longue recherche assidue, je me trouverais face à face avec l’objet qu’inconsciemment je désirais, avec l’objet qui avait été écrit pour moi, pour alimenter mes humeurs et convictions du moment.

Des heures durant, j’ai ouvert les portes de mondes fantastiques, de mondes tristes, de mondes merveilleux.
J’ai vu des couleurs, des enfants, des magiciens, des dragons, des chevaux, des châteaux, des murailles, des feux, des océans, des lacs, des montagnes….
J’ai entendu des sons de flûtes, de harpes, du vent, de la mer agitée, d’un feu de cheminée, des pleurs d’enfants, des barrissements d’éléphanteaux….
J’ai goûté à des plats délicieux, aux baisers d’une nymphe, à l’amertume du dégoût, à des milliers de vins différents, aux fruits presque défendus….
J’ai sentis les parfums les plus élaborés, l’iode de l’air marin, les arômes les plus subtils, l’odeur des épices les plus précieuses, l’âpreté du bûcher….
J’ai ressentis le soyeux des plus beaux tissus d’orient, la dureté des vieux habits usés, la raideur des cordages des grands navires, la froideur des glaces polaires, la chaleur humaine….

Des heures durant donc, j’ai voyagé aux grés des pages noircies ou colorées. Mais malgré l’immense bonheur, l’extase que je ressentais, je n’étais pas pleinement satisfait, tous ces voyages me plaisaient, mais je n’avais pas encore trouvé mon chef d’œuvre. Après chaque moment de rêve, je me désespérais de plus en plus, quand soudain, mon cœur s’arrêta net, je venais de l’apercevoir, tombé sous l’étagère. Je savais que c’était lui, mais malgré tous mes efforts, je restais tétanisé.

Après un interminable moment paralysé, les yeux fixés sur lui, je parvins à m’en approcher. C’est alors que le sol se déroba sous mes pieds, je sombrais dans un abîme obscur pour finalement tomber dans un endroit étrange, totalement inconnu. Aucun de mes repères n’allait me servir ici. La palette de couleur était différente, l’architecture, la végétation étaient incomparables. Les êtres qui peuplaient cet univers étaient tous de haute stature, sans membres, et avançaient uniformément. Quand ils me croisaient, j’avais l’impression d’être dévisagé, mais je ne ressentis aucune hostilité, plutôt de l’indifférence. Tout à coup, je vis s’approcher une forme qui pourrait être assimilée à un poisson, nageant dans l’air. Il me posa quelques questions, et nous commençâmes à discuter. Il m’apprît que les êtres que j’avais vu n’étaient en fait que des machines et que j’étais tombé du côté mécanique de ce monde. Je le suivis donc. Il écarta une lourde tenture, et quand je l’eu franchie, une impression de sérénité, de calme et de tranquillité m’envahit. J’étais confronté à une infinité d’odeurs, de bruits, de couleurs, de formes se déplaçant en total harmonie.

Mon nouvel ami me présenta à d’autres êtres avec qui je pu échanger idées, points de vue et expérience. J’essayais de comprendre leur monde, ils me l’expliquaient, ils voulaient connaître le mien, je le leur racontais. J’ai voyagé avec eux dans leurs sublimes contrées, découvert tant de nouveautés, des espèces animales, végétales, minérales et même d’une autre nature que je n’avais jamais vue auparavant. J’ai assisté à l’avènement d’un des leurs, mais aussi aux fêtes joyeuses du départ de leurs géniteurs.
Ils m’invitèrent à partager les joies et peines de leurs fêtes rituelles, je déduisis que les sons étranges qui émanaient d’une petite protubérance que tous avaient, devaient être leurs chants traditionnels. Ils m’apprirent à danser selon leur propre folklore, m’initièrent à leurs rites populaires. Ils me convièrent à de grands festins d’odeurs ; ils se nourrissaient en effet en absorbant les arômes de tous les objets alentours. Ils avaient donc développé un véritable art pour emprisonner les arômes, les sélectionner et les concentrer, pour en inventer et en créer de nouveaux, chacun rivalisant en délices et en succulence avec les autres.
Leurs périodes de repos étaient nombreuses. Ils étaient en apesanteur, gardaient les yeux ouvert pour apprécier les notes colorés qui étaient partout, et ils restaient ainsi, tournant lentement sur eux même pour en profiter pleinement.
Après un festin pantagruélique de saveurs olfactives, je profitais d’un de ces moments de grâce avec mes amis pour remplir mes pupilles et ma mémoire de ces feux d’artifices de couleurs intarissables. Il est vrai que même si ces couleurs étaient présentes à tout moment, c’était le meilleur moyen de se rendre compte de toute leur ampleur.

Soudain du lointain se fit entendre une voix :
« Je l’ai lu ce livre, il est sympa, mais sans plus. »
Le retour à la réalité fut on ne peut plus brutal. On ose me dire qu’il est « sympa sans plus ». On se moque de moi ! Je voulu lui conter tout ce que je venais de vivre, de ressentir, le monde merveilleux que je venais de visiter, les êtres fabuleux que j’avais connu. Je me suis retourné, elle m’a sourit.
Et je lui ai rendu son chaleureux sourire, sans rien dire de plus. De toutes façons, elle ne m’aurait pas cru.

sábado, 3 de noviembre de 2007

Nouvelle "Vingt ans après"

Vingt ans après

Il était dix heures trente et le Comptoir n’avait toujours pas ouvert ses portes. Mais où pouvait donc se touver la libraire? C’était la première fois qu’elle était en retard et moi j’étais bien pressée ce matin là.

Je devais être prête à midi, le déjeuner devait être prêt à midi. J’attendais ce jour là depuis un mois. En réalité, je l’attendais il y a vingt ans. Vingt ans et trois mois, en fait. Ça faisait vingt ans et trois mois qu’il était parti en me laissant enceinte de Pierre, mon fils unique. Il avait préferé sa famille, sa femme et ses trois enfants et s’était arrangé pour démenager dans une autre ville. A cette époque, Daniel avait 46 ans, moi, 28. Et nous ne nous étions plus jamais rencontrés. Il ne savait même pas que Pierre était né.

Dix heures quarante et la libraire n’était pas encore arrivée. Je voulais acheter ce livre de cuisine où j’avais vu la recette du soufflé d’artichauts. Daniel adorait les artichauts.

Ça faisait juste un mois. C’était un vendredi soir, vers huit heures, j’étais tranquillement chez moi quand le téléphone a sonné.

“- Allô, Aline, c’est moi, Daniel…”
Je n’arrivais pas à répondre.
“- Aline, tu te rappelles de moi? C’est Daniel…”

Bien sur que je me rappelais de lui. Je ne l’avais jamais oublié. Il me suffisait de regarder Pierre tous les jours.

Il était veuf maintenant, il vivait seul et avait pensé à moi. Puis, il avait cherché mon numéro de téléphone sur internet et voilà, il était quelque part au bout du fil. J’acceptais de déjeuner avec lui, chez moi, dans un mois…aujourd’hui.

Onze heures et la libraire n’arrivait toujours pas. Je pouvais encore attendre un peu. Les artichauts, je les avait fait cuire ce matin et leur avait enlevé la chair, j’avais les oeufs…enfin tout. Mais je ne savais pas faire le soufflé. C’est pour ça que j’avais besoin du livre.

Moi aussi j’étais prête. J’avais suivi une diète pendant tout le dernier mois. J’avais teint deux fois mes cheveux parce que la première fois ils étaient trop foncés et ça me faisait trop vieille. Mes ongles étaient impeccables, tout comme mon tailleur couleur ivoire, parfait pour ce matin de printemps.

Et lui, ça lui allait comment ses soixante-six ans? Qu’était devenue sa barbe rousse, celle qu’il avait promis de ne jamais couper? Et ses beaux yeux, seraient-ils plus fatigués? Enfin, son rire sonore serait peut-être le même. On verrait tout à l’heure. Il avait plaisanté – il plaisantait tout le temps – en disant qu’il était tout vieux maintenant et qu’il mettrait une fleur à la boutonière pour que je le reconnaisse.

Onze heures vingt et pas encore de libraire. Je decidais d’attendre jusqu’à onze heures et demi et pas une minute de plus. Bon, finalement, je pouvais quand même acheter une tarte aux asperges toute prête à côté de chez moi, mais je préférais lui préparer moi même le soufflé.
Je commençais à être inquiète. Je tenais à lui dire aujourd’hui même que Pierre était son fils. Comment allait-il réagir? Je m’étais préparée pour recevoir toutes les réponses et même pour ne plus jamais le voir. Il n’avait jamais été très courageux.

Et Pierre? Que dirait – il si jamais un jour je devais lui dire que Daniel était son père? Au moins je lui avais toujours dit moi-même la vérité: que son père n’avait jamais su que j’étais enceinte de lui, qu’il était né, enfin, qu’il existait.

Je commençais à me sentir vraiment inquiète… et cette libraire qui ne se décidait pas à venir. Je n’attendrai plus que cinq minutes.

Tout à coup, c’était mon portable qui sonnait.
“- Allô, Daniel, c’est toi?
- …
- Oui, je comprends…oui, ça va.
- …
- Oui, tu me téléphoneras dès que tu pourras finalement voyager.
- …
- Oh, non. Tu ne m’as pas dérangé.”

Il n’était pas vraiment plus courageux qu’il y a vingt ans.

“- Bonjour, ça fait longtemps que tu m’attends?”

C’était enfin la libraire qui arrivait. Mais je n’avait plus besoin du livre de cuisine. Je n’allais pas ruiner ma diète avec un soufflé d’artichauts. Avec la moitié, je ferais une salade et avec l’autre moitié, une omelette pour le dîner de Pierre.

J’entrais dans la librairie, j’avais le coeur gros, je sentais les larmes au bord des yeux. J’étais profondément déçue. C’était ma faute de m’avoir fait des illusions, mais je ne changerai jamais. Je savais même que je l’attendrai pendant les prochains vingt ans. Peut-être me téléphonera –t-il quand il aura quatre-vingt-six et moi soixante huit…

Je regardais autour de moi. Les livres, en plus de mon fils et de mon vieil amour étaient ma vie. Mais non. J’étais trop bouleversée pour lire un livre cet après-midi. Je décidais quand même d’acheter deux magazines pour les déguster chez moi avec une bonne tasse de thé. Combien de fois n’avais-je oublié mes malheurs en me plongeant dans une lecture.

Quand la libraire me demanda si je cherchais un livre en particulier, je lui dis que non. De toutes façons, elle ne m’aurait pas cru.

viernes, 2 de noviembre de 2007

Nouvelle Gagnante "Dur à Cuire"

Dur à Cuire


Il était 10 h 30 et Le Comptoir n’avait pas encore ouvert ses portes.

De l’intérieur on pouvait pourtant voir les gars s’affairer en tout sens, ouvrant et fermant la porte du local où on m’avait enfermé. Je m’étais machinalement replié sur moi-même et attendais dans l’obscurité. Je savais bien, au fond, que je finirais tôt ou tard ici. Quand on échouait, c’était la règle. Déjà que j’étais poisseux, là, en plus, le chef voulait manifestement en finir avec moi personnellement. C’est pour cela qu’il m’avait fait venir ici.

Je mettais mentalement des majuscules à l’article et au mot : Le Comptoir. C’était pour moi une marque de respect teinté d’un peu d’inquiétude. Et pour cause : je n’avais pu voir le nom sur la devanture que quelques instants en arrivant mais cela avait suffit pour me faire comprendre bien des choses : un comptoir c’est « là on fait les comptes ». C’était un bien drôle de nom pour un dernier endroit mais il me semblait que c’était là où j’allais devoir égrener les minutes qui me restaient à vivre et faire les comptes de mon existence.

D’autres, avaient dû y passer mais moi, ça me donnait envie de résister.

Le comptoir, le vrai, celui qui donnait le rythme à mes réflexions, on l’apercevait par intermittence, au gré des battements de porte. Un meuble en contreplaqué recouvert de plastique ou de formica, je ne sais pas, beige ou blanc, je ne saurais pas dire non plus. En tous cas, ça brillait. Les flammes du feu de la cheminée allumée à côté s’y reflétaient. Ça donnait presque envie d’avancer son heure.

Moi, je m’en fichais pas mal de savoir quand on viendrait me chercher ; je ne m’aime pas beaucoup et, au fond, ce ne serait pas une grande perte. Non : avant d’y aller, ce qui comptait le plus maintenant justement c’était, pour moi, de changer complètement. Je ne voulais pas me donner tel quel, offrir autre chose que mon corps blême en pâture, sans résistance. Mon esprit congelé s’évertuait à inventer mille manières de m’en sortir autrement et, lentement, je commençais à échafauder un plan où, faute de pouvoir en réchapper complètement, pouvais-je du moins choisir ma fin. C’était impératif, peut-être parce qu’au seuil de la mort il n’était pas question que je finisse comme j’avais vécu c’est-à-dire mollement.

Ils ne m’auraient pas comme ça.

Je n’ai pourtant jamais été brave. On dit que j’ai du sang bleu mais il a dû mentir : toujours parmi les plus craintifs dans les grands moments d’affront, toujours en retrait. Cette prudence m’aura assuré sinon la tranquillité, du moins la relative longévité dont j’ai joui jusqu’à aujourd’hui tant les prédateurs de mon monde ont assuré la perte de mes semblables, plus hardis, plus beaux, plus forts, plus intelligents que moi.
Je sais, la mort d’un mollusque comme moi ne changera pas la face du monde, pas même la carte que le chef est sûrement en train d’écrire à mon sujet avant de se pencher sur ma dépouille mais enfin, chaque condamné à bien le droit à sa dernière volonté, non ?

Ma fantaisie à moi serait de partir en fumée.

Oh, pas pour des raisons religieuses ou métaphysiques, non. Quand, comme moi, on a un cerveau primitif malgré les qualités d’extrême intelligence qu’on me prête, on n’a cure du côté purificateur de péchés ou du « Cendre tu es, cendre tu retourneras », non, ce qui me plaisait le plus dans l’idée, c’est de me dire que mon corps serait plus léger. J’ai toujours eu la sensation que mon corps était trop lourd. Même dans l’eau. J’ai toujours été encombré de moi même quoi que je fasse et malgré mes tentatives désespérées pour me fondre dans la masse. Du reste, si je suis là, c’est bien la preuve que je n’ai pas été assez rapide ou assez invisible du reste du monde : « pour vivre heureux vivons caché », cela n’aura jamais été aussi vrai.
Bizarrement, c’est aussi le côté romantique de mon être qui s’agitait un peu dans ce schéma incendiaire. Puisque le cœur est le muscle du corps humain qui résiste le plus longtemps à l’incinération, celui que l’on retrouve parfois presque intact dans un amas de cendre, d’or et de dents, je me dis qu’il restera peut-être alors aussi quelque chose de moi.
Mais surtout, il y a ce froid intense. Ce froid que je ressens depuis toujours autour de moi, en moi et dont je n’arrive pas à me débarrasser. Aller dans les mers du sud, approcher les volcans les plus actifs, oser les attaques les plus vives et essuyer les retraites les plus violentes n’auront jamais pu me réchauffer.

Mon sang bleu est du sang froid.

Et il en faut du sang-froid pour choisir comment en finir sans savoir à quelle sauce on va être mangé. Je ne peux pas imaginer ma mort comme j’ai vécu : engourdi de froid. Non, il me faut partir dans l’ardeur du feu, le crépitement des braises, les voltes-faces des flammes.

C’est décidé.

Il était midi. Le chef entra dans la pièce où je me trouvais. Une lumière, chaude et caressante jaillit dans la pièce sombre et fraîche où je n’en pouvais plus d’attendre. Un de ses gars l’accompagnait. Ils se dirigèrent vers moi sans un mot. Je sentis leurs mains froides - encore plus froides que mon corps - me saisir et me poser sur un chariot en acier. Là encore le contact fut glacial. C’en fut trop. Au passage du chariot près de l’âtre, je me laissai glisser à terre et, enroulant mon bras le long du tisonnier, je me jetai au fond des flammes de la cheminée. L’opération ne prit que deux secondes, du tout cuit si je puis dire : je me consumai en un instant, tout poulpe que j’étais. Le chef pouvait toujours me rattraper et me servir comme il voulait, je m’en fichais désormais.
De toutes façons, il ne m’aurait pas cru.