martes, 6 de noviembre de 2007

Nouvelle "Demain, j'enlève le bas"

Demain, j’enlève le bas

Il était 10 h 30 et le Comptoir n’avait toujours pas ouvert ses portes. Il faisait les cent pas devant la devanture, voulant être certain d’être bien le premier client. Pour la libraire, tant pis, après tout, elle en avait vu d’autres. Mais la seule idée d’être surpris à acheter « Les 10 trucs infaillibles des professionnelles du sexe » lui donnait des sueurs froides. Il imaginait un collègue de bureau ou, plus probable, une mère de l’Alliance. Il faudrait saluer d’un air dégagé, attraper très vite un Folio pour donner le change, inventer un pari stupide avec un copain, masquer les mains moites… Au lieu de tout simplement expliquer qu’un copain en France avait recommandé ce bouquin : « Tu verras, Chantal me fait des trucs déments, depuis qu’elle l’a découvert dans ELLE », avait insisté Jean-Claude.
Leur anniversaire de mariage approchait : Neuf ans, cinq déménagements, trois pays, trois enfants et l’amour …de moins en moins souvent... Il risquait le tout pour le tout avec ce cadeau : la franche rigolade – heureusement, il leur restait ça - ou la gueule, voir les larmes d’humiliation. Avec Sandrine, il fallait s’attendre à tout, y compris à un assaut sexuel !
Comme cet après-midi torride sur le sable blanc de l’Islas des Damas, pendant que les enfants regardaient les dauphins...

- « Tiens, pas mal cette nuisette noire avec son string, là » : son impatience l’avait mené deux boutiques plus loin.

... et ce bar un peu louche près de la Calle Girardi, cet Argentin qui avait fini par leur proposer de rentrer avec eux. L’idée, après coup, leur avait fait un sacré effet. Ils étaient même retournés dans le bar pour le revoir.

- « Et ce petit haut rouge ajouré, ça lui irait bien ».

Machinalement, il était entré dans la petite boutique de lingerie, aussi absorbé par ces souvenirs qu’un type pendu à son portable.
Il n’a pas tout de suite remarqué la petite brune, longs cheveux noirs, jolis traits indiens, qui s’avançait en souriant. Ce n’est qu’un peu plus tard, alors que ses petites mains potelées farfouillaient dans l’océan de soie à la recherche de la taille ad-hoc, qu’il l’a envisagé « sexuellement ». L’odeur d’abord, un parfum très fleuri qui s’échappait de sa peau chaude, de ses bras ronds, de son décolleté ingénu, dorée, comme si elle sortait du four. Dès lors, il ne sut plus très bien ce qu’il disait : « la taille ? Oui, ça irait… la couleur ? Pourquoi pas ? Et ce modèle-là ? Et des bas, vous en portez, vous, des bas ? Vous avez essayé les porte-jarretelles, là qui monte autour de cuisses, comme ça ? Comment dit-on déjà en espagnol ? Oui, c’est beau ça ! »
À quel moment le professionnalisme de la vendeuse, à l’empressement toujours un peu équivoque dans ce genre de boutique, a-t-il cédé la place à l’émoi d’une jeune femme qui s’immisce dans l’intimité d’un couple ?
Quand la libraire franchit le seuil de « Coquetteries », elle n’eut le temps que de : « Salut, t’as toujours mon doub… » avant de remarquer l’étrange prise au vent du rideau de la cabine d’essayage. Un pantalon en tire-bouchon sur des mocassins, piétiné par les sandales à méga talons de Claudia, achevèrent de la réveiller.
Un peu plus tard, cravate en vrac et rouge aux joues, le premier client de la matinée franchissait le seuil du Comptoir un gros paquet à ruban rose sous le bras :
« Olivier Balez, ça vous dit quelque chose ? Vous avez son dernier livre ? C’est mon gamin qui va être ravi. ! »
Allez expliquer à quelqu’un, une femme surtout, qu’une aventure de 20 mn puisse valoir tous les trucs, les remontants, les bouquins techniques du monde. Comment lui faire avaler, surtout si c’est la vôtre, que vous vous sentez plus vivant et amoureux que jamais d’elle ?
Il faillit tout raconter à la libraire, puis se reprit, en disciplinant sa cravate : « Sandrine ? oui, elle va très bien. Demain ça fera 9 ans que l’on est marié. Le paquet ? Oui, c’est pour elle. Et puis il me faut quelque chose pour les deux autres loupiots ».
À quoi bon tout lui confier ; lui dire : « Je viens de vivre un truc qui me fait décoller, me rend fou amoureux de ma femme et encore plus précieux mes gosses ? De toute façon elle ne m’aurait jamais cru »

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